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Les vignobles de Bourgogne voient 2022 en rose et tirent profit du changement climatique


Le changement climatique pourrait-il finalement profiter aux vins de Bourgogne ? Question complexe. Car le danger du réchauffement reste bien présent, contraignant les vignerons à s'adapter.


Sécheresses, pénuries d'eau, feux de forêt... Les conséquences du changement climatique sont indéniables. Même en Bourgogne-Franche-Comté, l'été 2022 s'est parfois montré particulièrement rude, avec par exemple des incendies importants dans le Jura, ou encore à Selongey en Côte-d'Or. Et des restrictions de l'usage de l'eau généralisées dans tous les départements de la région.


Nos vignobles peuvent-ils faire figure d'exception ? Ces conditions climatiques si particulières ont en effet permis aux vignerons bourguignons de récolter cette année des raisins de qualité, le millésime 2022 s'annonçant même, d'après le BIVB (Bureau Interprofessionnel des Vins de Bourgogne), comme l'un des millésimes du siècle.


"Les vignobles de régions septentrionales, tels que ceux de Bourgogne, sont clairement les gagnants du changement climatique", analyse Benjamin Bois, maître de conférence en viticulture et climatologie à l'université de Bourgogne. "Pour l'instant, on a davantage de bonnes années dans la région que de mauvaises, en termes de qualité."


Pas de dégâts graves... mais des dégâts malgré tout

Même s'ils tiennent plutôt de l'exception que de la règle, des dégâts ont bien été constatés dans certaines parcelles bourguignonnes cette année. Notamment dans les vignes les plus jeunes, où les racines n'étaient pas suffisamment profondes. "Là, elles ont subi un peu trop durement le stress hydrique (le manque d'eau, ndlr)", explique Benjamin Bois.


Le dernier épisode notable de sinistres dans les cultures remonte à l'an dernier, lorsqu'un épisode de gel avait ravagé les vignes dans plusieurs départements de Bourgogne. "Cet épisode était, sur le principe, une gelée typique 'changement climatique'", détaille le chercheur. "C'est-à-dire qu'il a fait tellement chaud en fin d'hiver que les bourgeons sont sortis trop tôt, ce qui a donc exposé la vigne trop précocement au gel."


De tels épisodes pourraient-ils se reproduire à l'avenir ? Difficile à affirmer avec certitude pour le moment. "Ces gelées ne vont pas dans le sens de ce que nous disent les modèles de climat", précise l'universitaire. "Donc la communauté scientifique et climatologique les scrute avec attention et circonspection. Pour l'instant, on ne sait pas trop." Mais comme il n'y a pas de mal dont il ne naisse un bien, ce passage de froid est en partie à remercier pour l'excellent millésime 2022 qui se profile. "Après une année gélive, souvent, la vigne réagit par une belle sortie de grappes. Comme c'était le cas, par exemple, en 1992, après les gelées de 1991."


"Si on veut être alarmiste, on peut dire que les vins de Bourgogne tels qu'ils sont aujourd'hui n'existeront plus en 2050 ou 2060"

S'ils ne sont pas les plus touchés par le changement climatique, les vignobles bourguignons ne sont toutefois pas à l'abri de mutations plus ou moins profondes dans les années ou décennies à venir. Sur le court terme, la hausse des températures doit faire augmenter la teneur en sucre des raisins, et par conséquent l'alcool potentiel, et entraîner une diminution de leur acidité. "Si on veut être alarmiste, on peut dire que les vins de Bourgogne tels qu'ils sont aujourd'hui n'existeront plus en 2050 ou 2060", avance Benjamin Bois. "C'est quasiment impossible de maintenir la typicité des vins, puisqu'il y a une lame de fond appelée le réchauffement climatique qui la fait forcément évoluer."


Le profil de goût et de saveur des vins d'aujourd'hui n'est pas le même que celui des vins de la même Bourgogne, des mêmes grands crus, de 1970 ou 1980.

Benjamin Bois, maître de conférence en viticulture et climatologie à l'université de Bourgogne


Un phénomène qui n'est pas nouveau... pas plus qu'il n'est limité à la seule région Bourgogne. "C'est valable dans toutes les régions du monde. Il faut être honnête : le goût des vins change petit à petit", assure le chercheur. Pour autant, il se dit optimiste quant à la capacité des vignerons bourguignons à continuer de produire des vins de grande qualité. "On n'est pas en Espagne, où le dérèglement climatique commence à réellement poser problème", glisse-t-il.


À cause des fortes chaleurs, de nombreux producteurs de la péninsule ibérique se voient en effet contraints d'irriguer leurs parcelles pour continuer de produire. D'après le ministère de l'Agriculture espagnol, plus de 400 00 hectares de vignes, soit environ 41% de la surface totale du vignoble, étaient irrigués dans le pays à l'été 2021.


"Il y a une réelle dichotomie entre les vignobles de climat froid et ceux de climat chaud, comme dans le sud ou en Espagne par exemple", détaille Benjamin Bois. "Ceux-ci n'ont pas forcément été avantagés par des degrés en plus." Des degrés en plus qui devraient, sur le long terme, également poser problème aux travailleurs de la vigne dans notre région. "On risque d'avoir des phénomènes de brûlures sur raisin, pour travailler dans les vignes, il faudra se lever très tôt le matin...", énumère l'universitaire.


Le personnel dans les vignes pose déjà problème aujourd'hui. La gestion de la main-d'œuvre risque de ne pas s'arranger.

Benjamin Bois, maître de conférence en viticulture et climatologie à l'université de Bourgogne


Opter pour des cépages plus résistants à la chaleur ?

À l'instar d'autres végétaux, la vigne, ou vitis vinifera de son nom scientifique, est une espèce au sein de laquelle se trouvent de nombreuses variétés. En Bourgogne, on retrouve principalement du pinot noir et du chardonnay, respectivement pour les vins rouges et blancs. "Ces cépages ne sont pas variés comme dans d'autres régions, à Bordeaux par exemple, où il y a une véritable culture de mélanger différents cépages", note Benjamin Bois.

Dans ces secteurs, de nombreux viticulteurs font le choix de remplacer progressivement les cépages les moins résistants par des cépages plus résistants. C'est le cas, par exemple, du fameux cabernet sauvignon, le deuxième cépage rouge en termes de surface dans le Bordelais. "Dans les années 70, les mauvaises langues disaient qu'il murissait bien une année sur 10", s'amuse le chercheur. "Aujourd'hui, on voit qu'il est de plus en plus cultivé parce qu'il se trouve bien dans un climat plus chaud."


Il y a 30 ans en Bourgogne, c'était du pinot noir et aujourd'hui, c'est du pinot noir.

Benjamin Bois, maître de conférence en viticulture et climatologie à l'université de Bourgogne


La solution serait-elle donc le changement des cépages actuels pour d'autres, plus adaptés aux fortes températures ? Cela pourrait l'être... au risque de produire des vins totalement différents qui n'auraient plus de Bourgogne que le nom. "Il ne faut pas se leurrer : changer de cépage, ce n'est pas la solution qui va nous permettre de maintenir la même qualité de vins, avec le même profil aromatique", argumente l'universitaire. "Peut-être qu'on arrivera à faire de très grands vins sur le même territoire, mais ce ne sera plus la même chose et le consommateur risque d'être perdu."


Des "conservatoires" pour sélectionner les variétés les plus adaptées

Mieux vaut prévenir que guérir et les viticulteurs bourguignons l'ont bien compris. Afin de se prémunir face à l'inéluctable hausse des températures, l'association technique viticole de Bourgogne (ATVB) a mis en place des "conservatoires", dont un dans la périphérie dijonnaise. Pinots noirs et chardonnays y sont cultivés, avec pour objectif l'étude de leurs comportements au sein du climat local.


"Le cépage n'est pas juste un être vivant qu'on clone et qu'on multiplie", indique Benjamin Bois. "Comme dans une famille, le génome varie. Il n'y a pas un pinot noir, mais des pinots noirs. Certains font des gros raisins, d'autres petits raisins, et d'autres supportent mieux les coups de chaud. C'est pour trouver ces 'clones' qu'ils sont étudiés."


L'autre "boîte à outils" dont disposent les viticulteurs est le porte-greffe, c'est-à-dire la partie racinaire sur laquelle la vigne est greffée. Amené en France à la fin du 19ème siècle pour répondre au phylloxéra, un parasite qui a dévasté une partie du vignoble français, le porte-greffe dispose lui aussi de nombreuses variations. Certaines, plus adaptées à des climats secs, représentent un allié de choix dans l'adaptation au changement climatique.


La question de l'allégement du cahier des charges

Dans un entretien accordé au Figaro (article payant) le 13 septembre dernier, le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau estimait que les produits bénéficiant d'appellations d'origine contrôlées (AOC) allaient "devoir probablement repenser" leur cahier des charges, pour mieux répondre à la problématique du réchauffement climatique.

Une solution qui pourrait avoir son intérêt, selon Benjamin Bois. "Le cahier des charges borne le choix du cépage, mais aussi la façon dont sont cultivées les vignes en Bourgogne", expose-t-il. "Dans la région, on cultive les vignes à haute densité. Les vignes sont espacées d'un mètre, en rang assez bas. Mais en fait, plus on est proche du sol, plus il fait chaud le jour et froid la nuit." Faire des vignes plus hautes et plus aérées permettrait donc de réduire le nombre de feuilles à l'hectare, ce qui retarderait la maturation du raisin. "Mais aérer les vignes, c'est impossible avec un cahier des charges qui impose des vignes à haute densité", conclut-il.


Pour rappel, la Bourgogne ne compte pas moins de six AOC en matière de vins, réparties sur plus de 250 km carrés.


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